Curating #4 - L’art d’aimer


« Je-t-aime est sans emplois. Ce mot, pas plus que celui d’un enfant, n’est pris sous aucune contrainte sociale ; ce peut être un mot sublime, solennel, léger, ce peut être un mot érotique, pornographique. C’est un mot socialement baladeur. »
— Roland Barthes, Fragments d'un discours amoureux

Jeff Cowen
Golshifteh 3, 2009

« Je t’aime » est parfois remplacé par l'expression artistique, un langage qui ne requiert ni l’écrit, ni le son. L’amour sous toutes ses formes est un thème récurrent chez les artistes qui mettent leur imagination au service d’une émotion, qu’elle soit « sublime, solennelle ou érotique » comme l’énonce Barthes.

L’art s’emparant de l’amour invite souvent à questionner les définitions et les limites de la thématique. Où commence l’amour ? Se résume-t-il au couple, ou peut-on l’étendre à d’autres structures plus informelles ? À travers l’art, le spectateur est encouragé à réenvisager sa perception de l’amour ainsi que la façon dont il le définit.

Pour sa quatrième exposition, Artransfer vous propose d’interroger le lien entre amour et artistes en redécouvrant des œuvres de son catalogue croisées avec des extraits des célèbres Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes.

Admiration


Amour et admiration sont étroitement liés : l’un peut être la conséquence de l’autre, et inversement. Dans ce cadre, l’art permet d’exprimer l’admiration sous une forme unique, exempte de mots. Ainsi, une œuvre d’art devient une déclaration d’admiration, un hommage visuel. De nombreux artistes utilisent donc leur talent afin d’honorer une personnalité publique, une célébrité, ou bien un artiste qui les a inspirés.

« Il y a toujours, dans le discours sur l’amour, une personne à qui l’on s’adresse, cette personne passât-elle à l’état de fantôme ou de créature à venir. Personne n’a envie de parler de l’amour, si ce n’est pour quelqu’un. »
— Roland Barthes, Fragments d'un discours amoureux

Russell Young
Obama, 2008
Acrylique et poudre de cristaux
162,6 x 121,9 cm

Aurèle Ricard
Think (Andy Warhol), 1994
Techniques mixtes
58 x 43 cm

Liu Ye
She and Mondrian, 2001
Lithographie
80,5 x 60,5 cm
Éd. 1/50

En 2009, Jeff Cowen photographie l’actrice iranienne Golshifteh Farahani. La série de portraits qui découle de cette rencontre peut être interprétée comme une déclaration d’amour de la part du photographe. L’actrice est renversante de beauté, mais le photographe ne capture pas seulement son apparence. Il cherche aussi à plonger dans son intériorité et rendre hommage à son parcours individuel. Selon lui, le regard de Golshifteh exprime une tristesse et une histoire brisée liée à ses origines iraniennes.

Jeff Cowen
Golshifteh 3, 2009
Tirage gélatino argentique, techniques mixtes
97 x 69 cm

Corps et érotisme


Le fait d’aimer est intrinsèquement lié au corps, celui d’autrui et le sien propre. L’amour est une réaction physiologique et physique qui a un effet concret sur le corps, tout comme le corps de l’autre peut-être à l’origine d’une émotion. Le corps est un sujet inépuisable pour les artistes, qui s’attachent parfois à le représenter en tant qu’objet érotique. Cette érotisation peut passer par la mise en valeur de la nudité, ou par la représentation d’une attitude séductrice et sensuelle.

« CORPS. Toute pensée, tout émoi, tout intérêt suscités dans le sujet amoureux par le corps aimé. »
— Roland Barthes, Fragments d'un discours amoureux

Miss. Tic
Fais de moi ce que je veux, 2018
Encre, aérosol et pochoir sur palissade en bois
39 x 29 cm
Éd. 5/7

Ibrahim Ballo
Émotion tissée 1 (La Vénus de Ballo), 2018
Acrylique et fils de coton tissés sur toile
118 x 85 cm

Chiho Aoshima
Hot Spring, 2005
Lithographie
68 x 68 cm
Éd. 88/300

Dans un décor à la fois kitsch et glamour, Miles Aldridge met en scène une jeune femme de manière très suggestive. Sa position et son attitude adoptent une connotation presque érotique, inscrivant ainsi la démarche de l’artiste dans le stéréotype et l’hypersexualisation. Le spectateur occupe donc un rôle de voyeur contemplant une forme d’indécence. En photographiant une femme dans une position suggestive comme il le fait ici, Miles Aldrige invite à une interprétation paradoxale : d’un côté, la réappropriation de son corps et de sa sexualité par la protagoniste lui confère une forme d’agentivité ; de l’autre, elle est complètement offerte au regard prédateur et voyeuriste du spectateur.

Miles Aldridge
New Utopia #5, 2018
Sérigraphie et encre argentée sur papier
111 x 98 cm
Éd. 13/15

« Parfois une idée me prend : je me mets à scruter longuement le corps aimé. Scruter veut dire fouiller : je fouille le corps de l’autre, comme si je voulais voir ce qu’il y a dedans, comme si la cause mécanique de mon désir était dans le corps adverse. »
— Roland Barthes, Fragments d'un discours amoureux

Couple et union


On pense souvent l’amour dans la seule structure du couple. Deux personnes unies, spirituellement ou physiquement, sont l’accomplissement de l’amour, son aboutissement le plus suprême. Le couple d’amour n’est pas uniquement amoureux ; il s’agit d’une paire de personnes qui s’aiment, des amis, des jumeaux, etc. Les artistes s’emparent fréquemment du couple et de son union, attirés peut-être par la symétrie qu’il suggère ou par sa tendresse.

Richard Aujard
Monica Bellucci et Yasmeen Ghauri, 1991
Tirage argentique
160 x 125 cm
Épreuve d’artiste 2/4

Li Shuang
Nous ne sommes rien l’un sans l’autre, 2011
Techniques mixtes sur papier
91,4 x 64 cm

Aya Takano
The Turkish Grasslands, 2005
Sérigraphie
61 x 50 cm
Éd. 33/300

« ÉTREINTE. Le geste de l’étreinte amoureuse semble accomplir, un temps, pour le sujet, le rêve d’union totale avec l’être aimé. »
— Roland Barthes, Fragments d'un discours amoureux

Ici, le couple n’est pas représenté mais il est aux fondements de cette œuvre. De fait, il s’agit d’une toile réalisée à quatre mains par un couple d’artistes : Dmitri Vrubel et Victoria Timofeeva. Si Dmitri Vrubel a été rendu célèbre par son graffiti « Mon Dieu, aide-moi à survivre à cet amour mortel » sur l’East Side Gallery de Berlin, il réalise néanmoins la plupart de ses œuvres avec son épouse. Ainsi, leurs travaux constituent le fruit de leur amour, dont ils sont ensemble les parents.

Dmitri Vrubel et Victoria Timofeeva
Evangelist Project, 2007
Acrylique sur toile
80 x 60 cm

Douleur dans l’amour


L’amour ne va pas sans douleur, échecs ou doutes. De la compassion à la rupture, du je t’aime trop au je ne t’aime plus, l’amour fracture et fait souffrir. L’art devient alors un exutoire, un outil cathartique pour raconter ses chagrins et tenter de s’en débarrasser.

« ÉCORCHÉ. Sensibilité spéciale du sujet amoureux, qui le fait vulnérable, offert à vif aux blessures les plus légères. »
— Roland Barthes, Fragments d'un discours amoureux

Sophie Calle
Prenez soin de vous, 2007
Photographie couleur, texte
113 x 140 cm et 113 x 85 cm
Éd. 1/3 FR dont un set complet + 1 EA

Mike Lee
I’ve Missed You - I’m Sorry, 2018
Sérigraphie sur papier coton
60 x 60 cm
Éd. 68/75

Inez Van Lamsweerde & Vinoodh Matadin
Lara as Cicciolina, 2007
Tirage pigmentaire contrecollé sur support
155 x 234 cm
Édition de 3

« S’ABÎMER. Bouffée d’anéantissement qui vient au sujet amoureux, par désespoir ou par comblement. »
— Roland Barthes, Fragments d'un discours amoureux

Pierre Bonnard a réalisé de nombreux nus féminins en prenant pour modèle sa femme Marthe. À partir de 1912, cette dernière tombe gravement malade et doit passer des heures dans son bain, durant lesquelles Bonnard la dessine inlassablement. Cette œuvre sombre et mélancolique permet d’exprimer la douleur ressentie par le couple lors de cette période difficile qui les met à l’épreuve. En peignant l’être aimé dans une position de faiblesse, Pierre Bonnard montre bien que l’amour n’apporte pas toujours de la joie.

Pierre Bonnard
Le Bain (seconde planche), c. 1925
Lithographie
33 x 22,5 cm
Édition de 50

Curated by Céleste Behaeghel